Seule est prise en compte l’apparence. Évacué le sujet (désormais toujours seulement prétexte à peinture), abandonnés les dogmes et tabous (académiques ou modernistes), ébranlée la croyance en une efficacité de la peinture (et de l’art en général), ne reste sur le mur qu’une pure apparence qui ne craint plus de s’affirmer comme telle. La vieille opposition entre fond et forme a vécu et — contrairement, sans doute, aux prophéties hégéliennes — c’est la forme qui a survécu. À cet égard, la singularité des peintures de Laurence Papouin tient d’abord à leur mode d’élaboration. L’artiste confectionne des peaux de peinture acrylique qui ne recouvrent aucun support, mais s’accrochent librement et, pour certaines d’entre elles, pendent au mur comme autant de dépouilles bariolées de Saint Barthélemy. Mais selon le mot fameux de Valery, « ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » : c’est effectivement de l’épaisseur — si mince soit-elle — que les peintures de Laurence Papouin tirent leur tenue, leurs couleurs et leurs motifs. Soumises à la pesanteur, comme les sculptures molles de Claes Oldenburg ou Robert Morris, ces peintures tendent à s’avachir lentement sous l’effet de leur propre poids.

Les motifs utilisés sont essentiellement des bandes et des grilles plus ou moins complexes, mais ces formes évoquent moins un héritage moderniste que la simplicité d’une toile cirée ou d’un torchon de cuisine. Laurence Papouin recourt à un vocabulaire formel qui, après avoir pu symboliser les recherches picturales les plus radicales du XXe siècle, a été réabsorbé dans la rhétorique ornementale la plus ordinaire. L’artiste rappelle que « l’acrylique n’est pas autre chose que du plastique », soulignant en cela ce que ces peintures (qui ne sont donc pas des tableaux) doivent au pop, pour leur dimension ironique et séduisante. Accumulations stratifiées de purs effets, de plaisir optique et de jeux avec l’espace et la planéité, elles sont des peintures sans fond.

Karim Ghaddab, 2009